Quand la Gendarmerie fait l’expérience de la méthode Macron
Le Président de la République a lancé le chantier de la création de 200 nouvelles brigades de Gendarmerie d'ici 2027. Il n'y a plus qu'à le faire...
Nous sommes le jeudi 10 novembre 2022. N° 28.
Rue Bleue est une newsletter écrite pour vous par le directeur de L’Essor de la Gendarmerie nationale. L’éclairage d’un observateur civil, indépendant, attaché à la défense des personnels de l’Arme, dans la ligne de ses prédécesseurs.
Les sources d’informations de cette newsletter ne proviennent pas seulement de notre site web, mais aussi de sites extérieurs, ou de l'AFP.
Si vous appartenez, de près ou de loin, à la communauté des gendarmes, de leurs amis, et de leur journal d’expression (depuis 86 ans), le mensuel L’Essor de la Gendarmerie nationale, ou, au-delà, aux amis des forces de sécurité et du maintien de l'ordre, cette correspondance est pour vous !
L’Essor vous pose la question : " Selon vous, les caméras-piétons, que les gendarmes doivent porter depuis juillet 2021, permettent-ils un progrès pour l’efficacité du travail du gendarme ?" Répondre au questionnaire du mois de novembre 2022.
D’abord, l’édito de la semaine.
🟥 Six mois après l’annonce par le président de la République de son engagement à créer 200 nouvelles brigades territoriales de Gendarmerie, on en sait pas beaucoup plus. La concertation continue.
C’était il y a dix mois seulement. Emmanuel Macron, le 10 janvier dernier, en campagne pour le premier tour de l’élection présidentielle, annonce qu’en cas de réélection, il s’engageait à créer 200 nouvelles brigades territoriales de gendarmerie. Étonnement, autour de lui personne n’avait l’air d’avoir été prévenu. Surprise chez les gendarmes. Sur les dix années précédentes, la tendances était en effet à la fermeture des petites brigades, devenues inopérantes, et le plus souvent fermées pour l’accueil du public. Sur cette période, le nombre de brigades était passé de 3 600 en 2007 à 3 100. 700 sont dites “autonomes”, les autres, dites “de proximité”. Depuis 2003, elles sont regroupées au sein d’un millier de “communautés de brigades”. Un échelon intermédiaire entre ces brigades-là et la compagnie, sous-division du groupement, qui lui est installé au niveau de chaque département.
Pourquoi cette attrition de près de 20% du nombre de ces brigades ? Pour des raisons d’efficacité, très bien expliquées par le Directeur général de l’époque, Denis Favier, à l’occasion d’une audition devant la Commission de la défense, le 8 octobre 2015 :
“La Gendarmerie a pour mission d’être présente dans tous les territoires. Mais dois-je le faire avec le dispositif qui existait au XIXe siècle et au début du XXe ? Je ne suis pas efficace avec des brigades dispersées de quatre ou cinq gendarmes car elles n’ont plus la capacité de faire face aux enjeux actuels. En concertation avec les élus, en lien avec le préfet et les autorités locales, j’essaie donc de procéder, chaque fois que cela a un sens opérationnel, à la fermeture de petites unités et d’en regrouper les effectifs et les moyens au sein de brigades plus importantes. Certes, cela augmente les distances à parcourir et nécessite des véhicules, mais je dégage davantage de puissance avec des gendarmes qui sont plus mobiles.”
(Pour la seule année 2015, environ 80 brigades ont été “regroupées”.)
Le successeur du général Favier, le général Richard Lizurey, a poursuivi cette politique, au ralenti, puis y a mis fin en 2017, après avoir créé des “brigades de contact”, gérées par les compagnies, et vouées au contact itinérants avec les élus et les populations. Nouvelle brigades “hors-sol”, police de proximité non-résidentielle.
1️⃣ Hybride. L’étonnement passé, en interne, au sein de tous les états-majors de la Gendarmerie nationale, on a essayé de comprendre le sens du propos présidentiel, de quelles type de brigades il pourrait s’agir ?
La réponse, sous forme d’hypothèses, est venu de plusieurs déclarations d’officiers généraux de la Gendarmerie, puis du directeur général lui-même, le 5 octobre, devant les députés de la Commission Défense de l’Assemblée nationale :
“On peut tout imaginer, comme des brigades mobiles avec des gendarmes qui partent trois ou quatre jours dans des zones isolées et qui dorment dans des gîtes ou des relais, des brigades fluviales, des postes à cheval, des Gendarmes en VTT”.
Un officier général parle de brigade “en camping-car”.
La promesse présidentielle ressemble fort, alors, à une mystification ! Pour tout un chacun, une brigade de Gendarmerie c’est d’abord un bâtiment, avec une caserne, un drapeau sur la façade, un accueil du public, et des gendarmes familiers d’une population.
Le 24 mars, L’Essor écrit : “Ces brigades mobiles reprennent peu ou prou l’argumentaire développé pour les brigades de contact, lancées en 2017 pour inciter les gendarmes à aller davantage à la rencontre de la population. On en dénombrait 39 en 2020. Les premières brigades mobiles avaient d’ailleurs été lancées en parallèle du déploiement de cette “fonction contact”, en aménageant par exemple un camping-car destiné à servir de bureau”.
Après la victoire du président de la République, le gouvernement, et son ministre de l’Intérieur, doivent donner corps à cette promesse. La concertation est confiée aux préfets. Les maires sont priés d’exprimer leurs desiderata. Résultats annoncés fin du premier trimestre 2023.
On s’oriente aujourd’hui vers un mix : beaucoup de brigades mobiles, un peu moins de brigades résidentielles.
2️⃣ Financement. Essayons ici de décrypter les récentes déclarations de Gérald Darmanin, prononcées lors de plusieurs déplacements dans les départements pouvant prétendre à l’implantation de nouvelles brigades.
Il dit, a peu près, à ses interlocuteurs : “si vous voulez une nouvelle brigade dès 2023, vous pouvez faire le choix d’une brigade “volante”. Si vous voulez une brigade “classique”, avec caserne, fournissez-moi le bâtiment, ou au moins le terrain, et, avec les services de la Préfecture, nous essaierons de monter un partenariat public/privé pour financer la construction, puis la donner à bail à la Gendarmerie. Grâce à l’augmentation des effectifs prévue dans la Lopmi, je fournirai les personnels”. Au passage, fini les casernes domaniales, souvent vétustes et mal entretenues, parfois insalubres. Place aux casernes locatives.
(Dans ces conditions, bientôt, les brigades de Gendarmerie obéiraient au modèle de l’Education nationale : les murs et le foncier appartenant aux collectivités locales, ou à des partenariats public/privé, et les personnels étant toujours gérés par une administration centrale.)
A noter : une brigade pour 10 gendarmes, avec caserne, coûte environ 10 millions d’euros. Entre la décision de la construire et sa livraison, dix années s’écoulent en moyenne.
3️⃣ Confusion. “Quand c’est pas clair, c’est qu’il y a un loup”. Additionner ensemble des brigades résidentielles, avec casernes, et des brigades volantes, éphémères, ou occasionnelles, constitue à nos yeux un abus de langage. Non pas que ces brigades ne soient pas utiles, loin de là ! Elles peuvent même rendre de grands services. Mais ce ne sont pas des brigades territoriales de Gendarmerie au sens traditionnel du terme.
Le terme d’escouade conviendrait mieux ! Le terme “brigade territoriale de Gendarmerie” resterait attaché aux brigades résidentielles, avec casernes, tandis que celui “d’ escouade” désignerait des sections des autres unités, brigades autonomes ou compagnies. C’est une proposition.
Et vive les gendarmes !
Alain Dumait, directeur de L’Essor
On vous a transmis Rue Bleue ou vous l’avez découverte sur le web ? Vous pouvez vous inscrire gratuitement en indiquant votre e-mail ci-dessous :
Ensuite, trois autres sujets importants :
🟥 La Gendarmerie compte recruter près de 12 000 personnels en 2023. Ce chiffre, légèrement supérieur aux perspectives de recrutement des années précédentes, s’explique aussi par la volonté de pourvoir les 8 500 nouveaux postes prévus par la Loi de programmation et d’orientation du ministère de l’Intérieur (Lopmi), dont un peu plus de 4 000 sont destinés à la Gendarmerie.
🟥 La Gendarmerie, lauréate du grand prix Diversité et Inclusion. Pour sa première édition, organisée le 8 novembre, le Grand Prix Diversité & Inclusion co-organisé par le cabinet AFL Diversity, spécialiste de l’accompagnement des entreprises dans le recrutement de la diversité et la solution digitale RH Mixity, tenait à saluer les meilleures actions et dispositifs innovants en faveur de la diversité et de l’inclusion, mis en place par les entreprises et organisations sur l’ensemble du territoire. Lire aussi : Remise du label Cap'Handéo à la Gendarmerie. La Gendarmerie est la première institution publique à recevoir le label Cap'Handéo qui reconnaît l'engagement des entreprises dans l'accompagnement des personnes en situation d'aide familiale.
🟥 “On a frôlé l’ouverture du feu lors des gilets jaunes”. Dans un livre qui vient de paraitre, l’ancien Préfet de police de Paris, Didier Lallement, redoute le moment où les forces de l’ordre devront ouvrir le feu. “Cela risque d’arriver un jour”, avertit-il.
Trois autres divers faits :
🟥 Refuser de donner le code de déverrouillage de son téléphone lors d'une enquête peut être un délit. La Cour de cassation vient une nouvelle fois de trancher la question. Ne pas accepter de livrer le code de déverrouillage de son téléphone à un représentant de l'autorité judiciaire lors d'une enquête peut être qualifié de délit.
🟥 Affaire Adama Traoré : un nouveau rapport met en cause la Gendarmerie. Un rapport de contre-expertise confirme que la mort d’Adama Traoré a été causée par un “coup de chaleur”, survenu avant son interpellation par trois gendarmes.
🟥 Près de cinquante gendarmes font condamner l’État pour des régularisations de charges indues. Alors que la jurisprudence du Conseil d’État est claire sur le sujet, l’État demandait aux gendarmes de payer des charges pour leurs logements sans les individualiser. Tous ceux qui contestaient cette demande ont eu gain de cause.
À lire aussi :
🟥 Le Bleuet de France et la gendarmerie nationale : une histoire qui dure. La gendarmerie a toujours été particulièrement impliquée dans le suivi et dans la protection de ses personnels blessés en service et dans l’accompagnement des familles de gendarmes décédés. Pour cela, elle s’est entourée de partenaires solides et historiques parmi lesquels le Bleuet de France.
🟥 SGATI : plus qu’un traceur, un véritable objet connecté : une balise de localisation hybride et autonome embarquant une variété de technologies basse consommation. Une innovation issue de la Gendarmerie, destinée aux très discrètes unités d’observation et de surveillance de la Gendarmerie, comme les GOS (Groupes d’Observation et de Surveillance) ou la FOR (Force Observation Recherche) du GIGN
🟥 Sécurité de la Coupe de monde de football : l'accord entre la France et le Qatar entériné par un décret publié au J.O. Passé en 2021 entre le directeur général de la Gendarmerie et le responsable qatari de la sécurité de la Coupe du Monde de football 2022, l'accord prévoit l'envoi de près de 200 gendarmes sur place, afin d'apporter expertise et appui opérationnel.
L’Essor vous propose de répondre à une question simple :
La question du mois de novembre, posée par L’Essor à ses lecteurs, porte sur la généralisation des caméras-piétons. Le ministre de l'Intérieur insiste pour que gendarmes et policiers n'oublient jamais de porter leur caméra-piéton, équipement dont ils sont dotés depuis juillet 2021.
S’agit-il seulement d’un moyen de preuve, en cas de contestation de l’intervention d’un gendarme, ou bien, d’un équipement permettant aussi l’amélioration du travail des personnels ?
D’où notre question :
" Selon vous, les caméras-piéton permettent-elles un progrès pour l’efficacité du travail du gendarme ?"
Répondre au questionnaire du mois de novembre 2022
“LA GENDARMERIE SOUS L’OCCUPATION EN LIBRAIRIE !
🟥 La réédition de l'ouvrage de Claude Cazals, "La Gendarmerie sous l'Occupation", co-édité par L’Essor et par Kubik-Editions, désormais en vente en librairie !
C’est un rendez-vous d'histoire avec la période la plus sombre de l'histoire de la Gendarmerie, décrite minutieusement et objectivement par un jeune colonel de gendarmerie en retraite, fils d'un gendarme, son père Marcellin Cazals, "Juste parmi les Nations".
Dans cette video, le professeur Jean-Noël Luc explique l’importance de cet ouvrage pour la connaissance de cette période, où la Gendarmerie a connu ses jours les plus sombres.
PS : Les liens vers des articles de L'Essor renvoient souvent à des pages réservées à nos abonnés. En effet, L'Essor, entreprise privée, n'a de ressources que celles que ses lecteurs et abonnés lui procurent ! Notre offre "essentielle", à partir de 2,50 euros par mois, permet de lire l'intégralité de nos articles sur le site de L’Essor. Et beaucoup d’autres liens vers des documents à conserver pour votre documentation…
Voilà, c’est fini pour cette semaine.
La newsletter vous a plu ? Dites-le en cliquant sur le ❤️ ou en cliquant sur ce pictogramme en haut de page 💬. À la semaine prochaine.
Cette newsletter est également disponible sur l’application substack !
(Notre dernière lettre « Rue Bleue », datée du 3 novembre 2022, a été envoyée à 33 806 abonnés, et ouverte 20 660 fois ! 😊)
L’histoire est un éternel recommencement !
La révolution a d’une certaine manière entériné le réseau des brigades qui existait avant elle.
Leur implantation, à équidistance de 4 lieues (32 km), avait pour finalité d’assurer la sécurité des axes de communication.
A l’époque, la réduction du nombre de gendarmes par unité a été une forme de levier qui a permis d’augmenter le nombre d’unités et d’équilibrer celui des gendarmes.
Consécutivement le besoin a suggéré des baux de location dans un immobilier diversifié : archevêchés, églises, auberges, bâtiments privés …
L'Etat a toujours témoigné son intérêt au développement des capacités de la gendarmerie, avec des oscillations récurrentes de ses objectifs et des moyens de les atteindre.
Ce le fut par des alternatives de création et de dissolution d'unités de départementale et surtout un temps certain pour la création de la GM.
Des erreurs potentielles de choix sans effet sur la responsabilité des politiques mais au détriment de la sécurité de leurs concitoyens électeurs.
Le caractère militaire de l’institution se traduit entre autres par la dénomination de ses unités dans le même esprit que celles de l’armée de terre, sauf pour le niveau brigade.
Elle est en effet la plus petite unité élémentaire, qui rassemble des gendarmes et leur famille. Certaines appelées ‘’poste’’ n’étaient composées que de 2 gendarmes à cheval.
En termes militaire, une ‘’escouade’’ est une déclinaison organique d’une compagnie de combat et existait dans l’organigramme d’une unité en 1914 sous la forme de 15 hommes commandés par un caporal.
Cette appellation a laissé place à celle du ''groupe'' dont l'effectif a varié de 12 à 10, placé sous l'autorité d'un sergent.
L’opportunité d’afficher l’inflation actuelle des gradés en gendarmerie et son corollaire d’un accès tardif à une situation de commandement.
Il semble donc que la suggestion ‘’escouade’’ ait peu de chances d’être adoptée pour l’unité mobile envisagée en lieu et place d’une brigade physique et immobilière.
A mon humble avis, on devrait plus s’orienter vers la notion de ‘’poste mobile avancé’’ à l’image du poste de deux cavaliers d’après la révolution française.
On en revient donc aux vieilles ficelles de la Révolution et aux solutions déjà exploitées dans le dernier tiers du siècle précédent.
C'est à mon sens un pis aller qui ne remplira pas assurément le rôle de contact du gendarme, lequel pour s'exercer doit résulter d'une formation initiale puis de terrain, de son intérêt suscité à la nouvelle génération, du sens relationnel, du temps nécessaire à y consacrer.
Il est plus facile de détruire que de reconstruire, d'autant plus avec un encadrement bercé dans un autre contexte et dont il n'est pas assuré qu'il dispose des fondamentaux pour perpétuer la formation adaptée à la notion de ''contact avec la population et de recherche du renseignement''.
Pour que la population s'approprie ses ''bleus'' il faut qu'elle les voit autrement et qu'ils lui fassent battre les cœurs à l'image de ce qui a pu être le cas samedi soir contre les Springboks !
Christian Pujol